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20 novembre 2010 6 20 /11 /novembre /2010 08:09

Culture-Isthme.

Du cinéma dans tout ce qu’il a de plus improbable et de plus paroxystique : Cape Fear version 1991 fait curieuse figure dans la filmographie prestigieuse de Martin Scorsese. Remake de la série B éponyme datant du début des années 60, il s’agit d’un film principalement narratif, plus que jamais fondé sur l’intrigue et les ficelles qui en découlent, délaissant l’ampleur romanesque habitant généralement l’Œuvre scorsesienne. Film de croisements, peuplé de références littéraires et cinématographiques, Cape Fear n’en demeure pas moins l’habitacle d’un personnage purement représentatif du cinéma de Scorsese : le machiavélique Max Cady ( Robert De Niro, dans son rôle le plus jubilatoire ), taulard tatoué jusqu’à l’os reconverti en justicier christique, monstre d’excès criblé de contradictions morales, proférant les Saintes Paroles comme autant d’étalages culturels capables d’étayer le métrage. Max Cady selon Scorsese n’a rien du Max Cady que Jack Lee Thompson développait dans l’original de 1962 : le cinéaste italo-américain y apporte ses obsessions bibliques, survitaminant la figure du criminel à grands coups d’impossibles clichés, accumulant les vulgarités avec un sens du mauvais goût qui confine au délice…

Difficile de faire plus outrancier que ce remake bigger than life : Scorsese ne cantonne pas ses dérapages excessifs au personnage de Max Cady : TOUT, dans Cape Fear 1991, est affaire d’exagération. Ainsi ce qui n’était qu’une galerie de personnages édulcorés dans le film de Jack Lee Thompson ( et principalement la famille Bowden composée d’une petite fille bien sage, d’une épouse aimante et d’un père pas si crapuleux que ne le prétendait l’intrigue ) devient alors un festival de personnages grinçants voire ridicules, en tout cas loin d’être irréprochables… A commencer par Danielle Bowden, narratrice du film de Scorsese, adolescente précoce et délurée ( Juliette Lewis, insolente et honteusement excitante ) succombant aux charmes de Cady ; Leigh Bowden, graphiste névrosée proche de la rupture émotionnelle ; enfin Sam Bowden, avocat véreux doublé d’un mari volage et fort peu orthodoxe. Scorsese grossit les traits de l’original, hypertrophie ses axes narratifs pour mieux alterner montage elliptique et séquences dilatées ( en ce sens, le véritable climax de Cape Fear est moins l’ultime escapade en bateau que le face à face entre Danielle et Max Cady ), convoque Freddie Francis à la lumière ( éclairages criards, surfaits : chose assez étonnante de la part du chef opérateur de Elephant Man…) et Bernard Herrmann à la musique ( composition tonitruante, apparemment identique à celle de la version 1962 mais rehaussée par l’orchestre d’Elmer Bernstein )… Bref le film de Martin Scorsese s’assume pleinement comme une relecture grotesque du film de Jack Lee Thompson, n’hésitant pas à trop en faire ( Robert De Niro, cabotin jouissif, compose tout en mimiques ; les dialogues de Max Cady conjuguent humour grossier et politesses incisives ) tout en s’affichant comme une Œuvre référencée, culturelle et culturiste.

Cap de l’angoisse… Cape Fear est donc un objet culturel, loin d’être simple et encore moins simpliste. Déjà par sa nature filmique, aucunement évidente pour un cinéaste, quel qu’il soit : un remake n’est-il pas, dans ce que le terme signifie, un paradigme culturel ? Ne s’agit-il pas de re-fabriquer quelque chose, aller contre Nature, à renforts de gros moyens ? Car s’il y a bien un cinéaste qui sait tirer parti des moyens mis à sa disposition, c’est bel et bien Martin Scorsese ( on regrette un peu l’aspect fauché de ses premiers longs métrages, notamment le très surestimé Mean Streets qui, à défaut d’être totalement raté, peine à traverser les âges ). A la différence d’un Brian De Palma – dont la virtuosité s’exprime mieux sur une échelle plus restreinte, c'est-à-dire dans ses premiers films aux budgets assez modestes : Sisters, Carrie, Dressed to Kill… Scorsese se bonifie à mesure que la production s’améliore. Et même si l’ombre du réalisateur d’Obsession plane par moments par-delà Cape Fear ( la caméra, très mobile dans le dénouement orageux, le laisse entendre…), les thématiques scorsesiennes sont là, immanentes. Culpabilité, justice, religion : Cape Fear est un îlot occupant une place centrale dans la filmographie du cinéaste…

Parmi les références, on pourrait citer Alfred Hitchcock ( Bernard Herrmann, évidemment…) mais aussi et surtout l’écrivain new-yorkais Henry Miller, que Scorsese citait déjà dans son excellent et tragi-comique After Hours. Ainsi, la fameuse séquence du pouce réunissant Juliette Lewis et Robert De Niro s’affirme comme le sommet culturel de Cape Fear : culture comme pouvoir de fascination, hédonisme prenant le dessus sur l’immoralité… La scène subjugue plus qu’elle ne choque – et Dieu sait qu’à l’époque les critiques ont jasé ! – démantelant perversement les barrières morales inculquées à Danielle par ses parents. Henry Miller, dont la provocation existentielle n’est pas étrangère à Cady, aura raison de l’adolescente. Ce n’est sans doute pas un hasard si Scorsese présente Danielle comme la narratrice – et donc la véritable héroïne – de son film, installant un récit dans le récit, concerné par des questions telles que les réminiscences et la poésie, questions chères à l’auteur de Sexus.

C’est donc – de prime abord – sous des dehors assez grossiers que s’appréhende le Cape Fear de Martin Scorsese… Le film n’en demeure pas moins doté d’une épaisseur généreuse, purement ancré dans le système culturel qu’il revendique, jouant de ses outrances pour mieux les contrecarrer par de savoureux cas de conscience. Film dopé, excessif, emphatique, il est un incontournable scorsesien. Culturel, et donc culte.



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commentaires

B
Very good photo. Very rare. Where did you get it??
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D
Bonsoir, je trouve ce remake à la hauteur du film original, c'est dire. De Niro tatoué est impressionnant. Un bon film à conseiller. Bonne soirée.
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