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23 juin 2008 1 23 /06 /juin /2008 18:11
En 2001, le cinéaste Gus Van Sant entame une trilogie contemplative avec Gerry, épopée de deux jeunes adultes dans le désert. Cette trilogie inclut également la Palme d'or du festival de Cannes 2003 Elephant, drame inspiré de la tuerie du lycée de Columbine et Last Days, film-rock narrant les derniers jours d'une icône du grunge. Ces trois films forment donc la trilogie de l'errance et la mort d'un cinéaste qui s'est, depuis ses débuts, affirmé comme l'un des réalisateurs les plus originaux du cinéma contemporain. Je vais tenter une approche comparative des trois films qui sont tous trois marqués par une atmosphère lente et mortifère. Trois films, trois chefs d'oeuvre...

1 ) Gerry : lent désert, succulent désert...

Premier volet de la trilogie, Gerry est en fait une réponse à Finding Forrester, le film précédent dans la filmographie de Gus Van Sant très marqué par la présence des studios hollywoodiens. Le cinéaste, sans cesse en quête d'innovation, réalise avec Gerry une oeuvre expérimentale et radicale, esthétiquement opposé au style de Finding Forrester ( ce dernier étant de facture beaucoup plus traditionnelle ). Gerry et Gerry sont le(s) seul(s) et unique(s) personnage(s) de cet OVNI, long métrage à mi-chemin entre le poème épique et le conte philosophique. Aidé de Matt Damon et de Casey Affleck ( les deux acteurs du film ), Gus Van Sant écrit le scénario du film, scénario riche en symboliques.

Matt Damon et Casey Affleck. Franchise Pictures

Des trois films de la trilogie, Gerry est le plus long, le plus lent et le plus épuré.C'est également celui où le travail sur l'espace-temps est le plus radical : en effet, Gerry promet des moments de pure grâce, les plans séquences s'y enchaînent si lentement que la fatigue des deux gerry se ressent plus qu'elle ne s'explique. Comme plus tard dans Elephant et Last Days, Gus Van Sant laisse place à la symbolique . L''étoile jaune sur fond noir de l'un des deux gerry peut représenter bien des choses : une autre dimension ( sont-ils sur une autre planète, comme en témoigne la planète entourée d'anneaux du tee-shirt de l'autre gerry ? ) un choc des civilisations ( l'Israël affrontant la Palestine,comme le suggère le turban improvisé du plus robuste ) ou encore une mise en abîme d'Elephant: ainsi, cette étoile jaune sur fond noir fait écho au taureau noir sur fond jaune du tee-shirt de John dans Elephant. Comme le yin et le yang, les deux films marchent ensemble, l'un dans l'autre, l'un avec l'autre. Comme l'ont très justement fait remarqué Les Cahiers du Cinéma,Gerry est le jeu vidéo auquel jouent les deux tueurs d'Elephant. Un jeu vidéo surréaliste ( la scène du rocher, la musique outrageusement répétitive d'Arvo Pärt enfermant le plus jeune dans un travelling circulaire quasiment mutique, etc...). Elephant prendra comme hypothèse le jeu vidéo pour tenter d'expliquer le massacre, massacre que nous allons tenter d'étudier dès à présent...

2 ) Elephant : la mine aux tords.

MK2 Diffusion

Elephant est le film le plus court et le plus effroyable de la trilogie. Une sorte de promenade subjective au coeur d'un lycée américain. Gus Van Sant abandonne les silences de Gerry pour utiliser une piste sonore singulière, aqueuse,presque aquatique. Ici, réalisme et poésie n'ont jamais été aussi voisins et pathétiques. Une photogénie de l'adolescence, des personnages racés voire hybrides : Michelle, vilain petit canard que tout le monde rejette ; Elias, sorte de lion rayonnant dans une chambre noire ;  John arborant un tee-shirt représentant un taureau...
Elephant est donc un film zoologique, dans tous les sens du terme : d'abord parce qu'il est peuplé de symboles animaliers ; ensuite parce qu'il est source de vie... et de mort ( la racine zoe signifit vie ).
Elephant possède la structure narrative la plus virtuose de la trilogie : temps recomposé, flashbacks ou encore présentation des personnages par des cartons. De cette structure complexe, le cinéaste américain va tirer le suspense, émotion peu présente dans Gerry et Last Days.
Elephant fut le film le plus commenté de GVS...Fort de son succès au festival de Cannes 2003 ( Palme d'Or à la clef ), le cinéaste décidera de diffuser le premier volet de sa trilogie ( Gerry ) dans le reste du monde. Il faudra attendre 2005 pour en voir le dernier volet : Last Days...

3 ) Last days : something in the day...

Après le désert succulent de Gerry et le lycée cosmopolite d'Elephant, place à la verdure et à la solitude de ces Last Days...

Michael Pitt. MK2 Diffusion

Blake est une brindille plantée maladroitement dans un lopin de terre. Une sorte d'hermite entre deux mondes. L'intérieur et l'extérieur. La vie et la mort. Le bruit et le silence...
Last Days est sans aucun doute le film le plus difficilement abordable de la trilogie. C'est une oeuvre de la demi-mesure, perdue quelque part entre la radicalité formelle de Gerry et le montage morcelé d'Elephant. Un film sur la solitude d'un être évanescent. Un film musical aussi, riche en symboles religieux ( les témoins de Jéhovah, le son d'un glas de cloche, la statue de Bouddha...). Un film presque à part dans cette trilogie, tant son aspect déroutant laisse peu à peu la place à une empathie démesurée pour son personnage. Alors que Gerry et Elephant narraient le parcours de plusieurs personnages, Last Days va à l'essentiel et ne se concentre que sur un seul.
 Blake erre entre sa maison et la forêt. Un peu comme dans Elephant, l'extérieur est un espace salutaire et bienfaiteur pour le protagoniste ( à la différence de Gerry et de son désert meurtrier ) : rappelons nous de John, sauvé à l'extérieur du lycée. Du reste, Blake finira par trouver la mort dans sa remise ( espace intérieur mais ouvert sur l'extérieur, comme nous l'indique subtilement les vitres de l'édifice ): ainsi trouvera t-il le nirvana...
Les deux chansons du film sont significatives, jusqu'à leur titre : That Day et Death to Birth. Ce jour. Une renaissance. Et puis le ciel  ( très peu présent, contrairement à dans Gerry et Elephant ). Là-haut. Quelque part...Un espoir ?

Ainsi s'achève la rapide analyse de la trilogie mortifère de Gus Van Sant. Je vous invite donc à revoir ces trois véritables chefs d'oeuvre et de vous y perdre, de les contempler, de les vivre. A ce jour, Gerry, Elephant et Last Days constituent ma trilogie préférée. Incontournable.


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22 juin 2008 7 22 /06 /juin /2008 15:53

J'inaugure ce blog avec l'un de mes films préférés ( peut-être même mon film préféré ! ) : A Clockwork Orange, réalisé en 1971 par feu Stanley Kubrick. Adapté du roman virtuose d'Anthony Burgess publié en 1962, ce chef d'oeuvre narre le parcours peu banal d'Alex, un adolescent pédant aux allures de gentleman, féru d'ultraviolence, de sexe et...de Beethoven.

Accompagné de ses trois drougs ( Pete, Georgie et Dim ), Alex passe donc son temps à boire du Moloko ( sorte de breuvage lacté coupé à la dope ) au Korova Milkbar. Il tabasse les clochards, vole les bourgeois et viole les devotchkas. Un jour, suite à une attaque surprise chez la femme aux chats ( qu'Alex tuera "accidentellement" ), notre personnage est incarcéré. Commence alors un séjour en prison de deux longues années au cours duquel  Alex continuera à savourer intérieurement le piment de l'ultraviolence. Un jour, notre protagoniste demande à suivre un traitement de choc susceptible de le rendre non-violent et de le sortir de prison en un claquement de doigt : le traitement Ludovico. Comme tombée du ciel, cette opportunité semble idéale pour Alex. Il suit donc le traitement...Une fois dehors, devenu citoyen obséquieux, Alex rencontre ses anciennes victimes ( dont Georgie et Dim, qui sont devenus policiers et qui ont mal digéré l'épisode de la femme aux chats ). Un soir, l'une d'elles le drogue et le pousse au suicide. Alex ne meurt pas...Un jour, après le creusement de son rassoudok par des infirmiers, Alex reçoit la visite du ministre de l'intérieur. Ce dernier lui présente ses excuses et lui propose un marché...Un nouveau départ ? Non, le même. Retour à la case départ.

A Clockwork Orange est certainement le film le plus pessimiste de son auteur. Construit en trois parties ( dont la première et la dernière font écho ), ce chef d'oeuvre constitue l'une des réflexions sur la violence les plus abouties de l'Histoire du 7eme Art. Le film est narré par Alex  ( auquel s'identifie presque instantanément le spectateur ) et s'affirme comme un véritable défouloir d'images chocs. Succédant à 2001 : A Space Odyssey dans la filmographie de Kubrick, A Clockwork Orange est à la fois une parabole sociale, une comédie noire et un thriller psychologique.

Le film s'ouvre sur le visage d'Alex...Un regard perçant, malveillant, maléfique ( nous sommes loin du foetus apaisé qui bouclait la boucle de 2001 ). La caméra s'éloigne alors pour nous laisser découvrir une partie de son univers mental : le Korova Milkbar. Tout est déjà dans le premier plan : de l'identification spontanée à la distantiation kubrickienne, il n'y a qu'un mouvement de caméra ( en l'occurence un travelling arrière ). Alex est jeune, beau, intelligent et passionné. Passionné mais actif. Passionné de violence et de musique classique. Passionné car prisonnier de ses pulsions. Acteur de ses pulsions...Le clochard qu'il tabasse au début du film avec ces trois drougs est un peu le reflet de son avenir, de ce qu'il ne veut pas devenir : vieux et désabusé, spectateur de son existence. Alex vit donc passionnément, dans une sorte d'euphorie psychotique, jubile au son de la 9eme Symphonie de Beethoven. Capable de prouesses sexuelles plus rapides que l'éclair ( comme en témoigne cette scène filmée en accéléré ) et capable également de se battre avec la grâce d'un dandy ( comme le suggère la toltchoke avec ses trois drougs au bord du canal ), c'est un peu le rêve pervers de chacun d'entre nous. Alex est un surhomme ou alors un maniaque, un mégalomane...

Suite à son incarcération, Alex suit donc le traitement Ludovico. La passion ( au sens de souffrance, comme celle du Christ qu'il flagellait dans son rêve éveillé ) commence alors. Alex devient impuissant et bascule de la psychose à la névrose. Il devient une "orange mécanique", le fruit de la société qui l'a formaté : un être de chair et de sang, organique, prisonnier des rouages que lui inflige la civilisation. Au "Ca" freudien vient s'ajouter le "Surmoi", concept psychologique impliquant le refoulement des pulsions. De l'homme à la machine, Alex est la métaphore du citoyen moderne : passionnément passif, il devient peu à peu conscient de la tension existante entre son "Ca" et son "Surmoi"...

A Clockwork Orange est donc l'hypothétique réplique de 2001 : A Space Odyssey. Si ce dernier critiquait le progrès de la technologie ( par le biais de Hal 9000 ), le premier critique les méfaits indispensables du civisme moderne : politesse, rigidité et conformisme...

Stanley Kubrick l'a compris mieux que quiconque : l'Homme est un animal politique ( en référence à Aristote ). L'Homme ne peut avoir son langage propre, il doit se souscrire à celui de la société ( rappelons qu'au début du film, Alex et ses drougs parlent un argot singulier ). A Clockwork Orange nous montre en fin de compte que l'être humain ne cesse jamais d'avoir conscience de cette tension entre son état naturel et la civilisation. Probablement l'un des dix plus grands films de l'Histoire du cinéma. Un chef d'oeuvre.



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