1 ) Gerry : lent désert, succulent désert...
Premier volet de la trilogie, Gerry est en fait une réponse à Finding Forrester, le film précédent dans la filmographie de Gus Van Sant très marqué par la présence des studios hollywoodiens. Le cinéaste, sans cesse en quête d'innovation, réalise avec Gerry une oeuvre expérimentale et radicale, esthétiquement opposé au style de Finding Forrester ( ce dernier étant de facture beaucoup plus traditionnelle ). Gerry et Gerry sont le(s) seul(s) et unique(s) personnage(s) de cet OVNI, long métrage à mi-chemin entre le poème épique et le conte philosophique. Aidé de Matt Damon et de Casey Affleck ( les deux acteurs du film ), Gus Van Sant écrit le scénario du film, scénario riche en symboliques.
Des trois films de la trilogie, Gerry est le plus long, le plus lent et le plus épuré.C'est également celui où le travail sur l'espace-temps est le plus radical : en effet, Gerry promet des moments de pure grâce, les plans séquences s'y enchaînent si lentement que la fatigue des deux gerry se ressent plus qu'elle ne s'explique. Comme plus tard dans Elephant et Last Days, Gus Van Sant laisse place à la symbolique . L''étoile jaune sur fond noir de l'un des deux gerry peut représenter bien des choses : une autre dimension ( sont-ils sur une autre planète, comme en témoigne la planète entourée d'anneaux du tee-shirt de l'autre gerry ? ) un choc des civilisations ( l'Israël affrontant la Palestine,comme le suggère le turban improvisé du plus robuste ) ou encore une mise en abîme d'Elephant: ainsi, cette étoile jaune sur fond noir fait écho au taureau noir sur fond jaune du tee-shirt de John dans Elephant. Comme le yin et le yang, les deux films marchent ensemble, l'un dans l'autre, l'un avec l'autre. Comme l'ont très justement fait remarqué Les Cahiers du Cinéma,Gerry est le jeu vidéo auquel jouent les deux tueurs d'Elephant. Un jeu vidéo surréaliste ( la scène du rocher, la musique outrageusement répétitive d'Arvo Pärt enfermant le plus jeune dans un travelling circulaire quasiment mutique, etc...). Elephant prendra comme hypothèse le jeu vidéo pour tenter d'expliquer le massacre, massacre que nous allons tenter d'étudier dès à présent...
2 ) Elephant : la mine aux tords.
Elephant est le film le plus court et le plus effroyable de la trilogie. Une sorte de promenade subjective au coeur d'un lycée américain. Gus Van Sant abandonne les silences de Gerry pour utiliser une piste sonore singulière, aqueuse,presque aquatique. Ici, réalisme et poésie n'ont jamais été aussi voisins et pathétiques. Une photogénie de l'adolescence, des personnages racés voire hybrides : Michelle, vilain petit canard que tout le monde rejette ; Elias, sorte de lion rayonnant dans une chambre noire ; John arborant un tee-shirt représentant un taureau...
Elephant est donc un film zoologique, dans tous les sens du terme : d'abord parce qu'il est peuplé de symboles animaliers ; ensuite parce qu'il est source de vie... et de mort ( la racine zoe signifit vie ).
Elephant possède la structure narrative la plus virtuose de la trilogie : temps recomposé, flashbacks ou encore présentation des personnages par des cartons. De cette structure complexe, le cinéaste américain va tirer le suspense, émotion peu présente dans Gerry et Last Days.
Elephant fut le film le plus commenté de GVS...Fort de son succès au festival de Cannes 2003 ( Palme d'Or à la clef ), le cinéaste décidera de diffuser le premier volet de sa trilogie ( Gerry ) dans le reste du monde. Il faudra attendre 2005 pour en voir le dernier volet : Last Days...
3 ) Last days : something in the day...
Après le désert succulent de Gerry et le lycée cosmopolite d'Elephant, place à la verdure et à la solitude de ces Last Days...
Blake est une brindille plantée maladroitement dans un lopin de terre. Une sorte d'hermite entre deux mondes. L'intérieur et l'extérieur. La vie et la mort. Le bruit et le silence...
Last Days est sans aucun doute le film le plus difficilement abordable de la trilogie. C'est une oeuvre de la demi-mesure, perdue quelque part entre la radicalité formelle de Gerry et le montage morcelé d'Elephant. Un film sur la solitude d'un être évanescent. Un film musical aussi, riche en symboles religieux ( les témoins de Jéhovah, le son d'un glas de cloche, la statue de Bouddha...). Un film presque à part dans cette trilogie, tant son aspect déroutant laisse peu à peu la place à une empathie démesurée pour son personnage. Alors que Gerry et Elephant narraient le parcours de plusieurs personnages, Last Days va à l'essentiel et ne se concentre que sur un seul.
Blake erre entre sa maison et la forêt. Un peu comme dans Elephant, l'extérieur est un espace salutaire et bienfaiteur pour le protagoniste ( à la différence de Gerry et de son désert meurtrier ) : rappelons nous de John, sauvé à l'extérieur du lycée. Du reste, Blake finira par trouver la mort dans sa remise ( espace intérieur mais ouvert sur l'extérieur, comme nous l'indique subtilement les vitres de l'édifice ): ainsi trouvera t-il le nirvana...
Les deux chansons du film sont significatives, jusqu'à leur titre : That Day et Death to Birth. Ce jour. Une renaissance. Et puis le ciel ( très peu présent, contrairement à dans Gerry et Elephant ). Là-haut. Quelque part...Un espoir ?
Ainsi s'achève la rapide analyse de la trilogie mortifère de Gus Van Sant. Je vous invite donc à revoir ces trois véritables chefs d'oeuvre et de vous y perdre, de les contempler, de les vivre. A ce jour, Gerry, Elephant et Last Days constituent ma trilogie préférée. Incontournable.